L’annonce de la réouverture progressive des écoles, lycées et collèges à partir du 11 mai n’en finit pas de provoquer des remous. Parmi les parents, les personnels, mais aussi les médecins et les maires, les réactions vont de l’inquiétude au refus d’obtempérer tant que les conditions d’une protection sanitaire maximale n’auront pas été réunies. Pour la fédération FO de l’Enseignement, cela exige notamment un dépistage généralisé des élèves et des personnels, comme le CHSCT ministériel du 3 avril dernier l’a d’ailleurs confirmé. Elle a décidé de lancer une pétition en ligne pour soutenir sa revendication.
Il n’y a pas d’explication médicale à déconfiner dans le milieu scolaire en premier réagissait, dans une interview accordée au quotidien Le Figaro, le Docteur Bouet, président du Conseil national de l’ordre des médecins, au lendemain de l’annonce présidentielle d’une réouverture progressive des écoles, collèges et lycées à partir du 11 mai.
Ce choix révèle un manque absolu de logique. Nous ne comprenons pas cette annonce. La première décision a été de fermer les écoles, lycées et universités. Pour deux raisons. D’une part parce qu’on sait que les enfants sont des vecteurs potentiels sans développer eux-mêmes l’infection, sauf à de rares exceptions. D’autre part, parce qu’il est très difficile en milieu scolaire de faire respecter les gestes barrières. Et maintenant le premier milieu que le Président veut déconfiner est le milieu scolaire ! Comment ne porterait-il plus les mêmes risques ?, alertait-il.
Le président de la Fédération des parents d’élèves FCPE ne mâchait pas non plus ses mots : Comment fait-on, en si peu de temps, pour mettre en place la progressivité de l’accueil, les classes à effectifs réduits, le respect des gestes barrières, l’approvisionnement en savon, en masques, en gel hydro-alcoolique ? (…) Tout cela me semble improbable, pour ne pas dire plus (…) Au final, on va demander aux parents de choisir entre la scolarisation et la santé de leurs gamins. C’est une forme de chantage insupportable.
Certains maires ont décidé de ne pas rouvrir leurs écoles
Du côté des maires, les interrogations et les inquiétudes sont très fortes et certains ont décidé de ne pas rouvrir leurs écoles a prévenu la présidente de l’Association des maires de France (AMF), interrogée le 17 avril par AEF Info (Agence Education et Formation).
Visiblement préoccupée par l’absence de concertation entre les élus et le gouvernement, concertation pourtant promise par ce dernier, l’AMF réclame un protocole précis élaboré conjointement par l’État et les collectivités locales et que les décisions soient annoncées dans des délais permettant aux collectivités de prendre les dispositions pratiques nécessaires.
Les Maires de France demandent également de conditionner les réouvertures à la mise à disposition effective des matériels et des dispositifs de protection sanitaire pour les élèves, les personnels des collectivités et les enseignants.
Des milliers d’écoles manquent de points d’eau et de savon
Et c’est là que le bât blesse. De très nombreuses écoles ne disposent même pas de points d’eau en nombre suffisant. C’est ainsi le cas d’un quart des 6184 écoles interrogées à la mi-mars par l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement. La quasi-totalité (95%) n’ont pas non plus de personnel infirmier régulièrement présent.
Selon cette enquête publiée le 17 avril, 77 % des 1900 établissements du secondaire interrogés (collèges, lycées d’enseignement général et lycées d’enseignement professionnels) ont rapporté ne pas avoir de gel hydro-alcoolique ou pas en quantité suffisante.
Et le savon ? Le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a lui-même reconnu la pénurie dans les écoles et établissements du secondaire, sans parler des robinets défectueux et des toilettes en mauvais état.
Les masques ? Pour l’instant, ce n’est pas urgent répond un préfet…
La question des masques est cruciale. Mais ils coûtent très cher. Qui va payer ? Le maire d’une commune de Bourgogne Franche-Comté (l’une des régions les plus touchées par le virus) explique ce 21 avril (source AEF) : Toutes les personnes en sortie de confinement devront en être dotées. Nous sommes en train de prospecter les différentes entreprises qui pourraient nous en fournir. Nous nous orientons vers des masques réutilisables mais les coûts sont très élevés : entre 3,50 € et 5 € hors taxes. Or, il faut compter au moins deux masques par personne, à renouveler au bout de 10 utilisations (maximum). Pour une première commande à 30 000 pièces, voire 60 000 pièces, cela fait une facture entre 100 000 et 300 000 €, selon l’option retenue. Certes, nous allons nous tourner vers les couturières pour faire appel au bénévolat, mais nous allons aussi nous tourner vers le préfet parce que nous ne pourrons pas assumer seuls.
Réponse du préfet, interrogé dans la foulée par l’AEF : Mon conseil aux maires est d’attendre un peu avant de s’engager dans l’achat de masques. À ce stade, ce n’est pas urgent, d’autant plus que la doctrine n’est pas stabilisée.
La colère des personnels
Y aura-t-il des masques ? Y aura-t-il des masques suffisamment protecteurs ? Y aura-t-il des masques suffisamment protecteurs et en nombre suffisant ? Les locaux seront-ils désinfectés ? A quelle fréquence le seront-ils ? Comment seront organisés les temps scolaires et périscolaires pour éviter une trop grande promiscuité ? Comment gérer le temps de la cantine, en particulier dans les petites communes qui n’ont pas les moyens d’assurer deux services ? Comment préparer et aménager les locaux ? Comment faire respecter les gestes barrières à des dizaines d’enfants, en particulier en maternelle ?
Ces questions, les personnels de l’Education nationale se les posent avec une acuité toute particulière. En contact direct avec les enfants, mais aussi souvent avec les parents, ils devront veiller concrètement à chaque instant à la protection sanitaire de tous, tout en assurant leurs tâches habituelles, qu’ils soient enseignants, chargés de l’accompagnement des plus petits et des plus fragiles (AESH et Atsem), surveillants, agents techniques ou administratifs. A noter que, si une reprise devait avoir lieu le 11 mai, les personnels administratifs devraient, pour la préparer en amont, revenir travailler beaucoup plus tôt, comme c’est le cas avant chaque rentrée scolaire.
Les gestes barrière ne pourront pas être respectés
Les gestes barrière ne pourront pas être respectés compte tenu de l’âge des élèves et du nombre d’élèves par classe. Comment éviter une nouvelle flambée épidémique quand près de 1,3 million de personnels, dont 900.000 professeur, et 12 millions d’élèves seront rassemblés en classe ? Sans parler de la sieste et du matériel commun manipulé en maternelle, des parents nombreux devant le portail, des repas collectifs, des transports…, avertissaient ainsi plusieurs dizaines de professeurs des écoles de Toulouse et de sa banlieue, réunis le 17 avril en visio-conférence, avec le syndicat FO du premier degré (Snudi-FO).
Déjà actuellement avec un nombre réduit d’élèves, constataient les instituteurs toulousains, l’accueil des enfants des personnels indispensables à la gestion de la crise (personnels soignants ndlr) n’est pas effectué dans des conditions qui garantissent la santé et la sécurité. Le matériel indispensable manque partout (masque FFP2, gel hydro-alcoolique…). Les gestes barrières ne peuvent pas être respectés. Dès lors, interrogeaient-ils, Comment les conditions d’accueil garantissant la santé et la sécurité des personnels et des élèves pourraient-elles être réunies avec tous les élèves présents ?
Et leur motion, adoptée à l’unanimité moins une abstention, exigeait la fourniture systématique du matériel nécessaire (masque FFP2, gel hydro-alcoolique…) pour les personnels et les élèves », ainsi que la mise en place d’un « dépistage généralisé des personnels et des élèves comme préalable à toute reprise d’activité qui, dans les conditions actuelles, est inacceptable.
Motions, pétitions, courriers aux autorités… Les initiatives locales se multiplient à l’initiative de FO
Les initiatives locales portant ces revendications (motions, pétitions et courriers aux autorités), se sont multipliées depuis l’annonce présidentielle, à l’initiative des syndicats de la fédération FO de l’Enseignement, de la Culture et de la Formation professionnelle (FNEC FP FO) ainsi que d’unions départementales FO, et parfois avec d’autres organisations syndicales.
Mais, le ministre de l’Education nationale continue de botter en touche ne peut que constater la FNEC FP FO. Alors qu’elle lui a demandé de mettre en œuvre l’avis du CHSCT ministériel du 3 avril qui, s’appuyant sur les préconisations de l’OMS, se prononce pour un dépistage généralisé aux personnels et aux élèves comme préalable à toute reprise d’activité, le ministre a répondu … qu’il prendrait l’avis des autorités sanitaires.
Un refus incompréhensible du point de vue sanitaire, dans la mesure où nombre de personnes et en particulier les enfants peuvent être porteurs sains et vecteurs de la maladie, dénonce la fédération FO, pour qui la véritable raison des choix gouvernementaux est ailleurs.
Certes des milliers de salariés au chômage partiel attendent de pouvoir reprendre leur travail, mais pas au prix de leur vie ni de celle de leurs proches. Personne ne veut aller au casse-pipe. Personne n’est dupe de “l’utilité sociale“ d’une réouverture des écoles pour répondre aux pressions du patronat pour un redémarrage de la production à tout prix, explique son secrétaire général, Clément Poullet.
Quant à l’idée du ministre, réitérée ce 21 avril, de dédoubler les classes pour pouvoir mieux respecter la distanciation entre les élèves, elle pose le problème fondamental des effectifs enseignants qui ne permettent déjà pas d’éviter les classes surchargées en temps normal. La proposition du ministre pourrait même avoir l’effet d’une provocation, au vu des suppressions d’emplois prévues dans le secondaire. Programmées avant la pandémie, elles le sont toujours à ce jour et les instances chargées de les répartir dans le cadre de l’élaboration de la carte scolaire continuent de s’y employer comme si de rien n’était. Même lors de créations de postes, comme elles sont annoncées dans le premier degré (primaire), elles ne seront pas suffisantes, ont d’ores déjà averti les organisations syndicales.
La Fédération FO lance une pétition nationale
La Fédération FO a donc décidé de lancer une pétition nationale pour appuyer ses revendications. Pour elle, la demande d’un dépistage massif mise en avant au niveau national par les autres organisations syndicales et la FCPE ne suffit pas. Le président de la République, rappelle-t-elle, a lui-même lancé l’idée d’un dépistage massif tout en précisant qu’il serait limité aux personnes présentant des symptômes.
Le 11 mai ou après… Pas de reprise sans dépistage systématique, sans tous les moyens de protection nécessaires ! Tel est l’intitulé de la pétition. Outre le dépistage généralisé des élèves et des personnels en préalable à tout reprise, les signataires demandent aussi « la mise en œuvre de toutes les mesures de protection nécessaires (équipements de protection à hauteur des besoins, désinfection totale des locaux, tests quotidiens…).
Mise en ligne dimanche 19 avril au soir, la pétition, qui peut être signée par les personnels de l’Education nationale, mais aussi par l’ensemble de la population, a d’ores et déjà recueilli plus de 38 000 signatures.